Repenser la gouvernance économique de l’Union dans le sillage de la pandémie

EU flag and people
20 April 2022
Repenser la gouvernance économique de l’Union dans le sillage de la pandémie

La crise de la COVID-19 et l’actuelle guerre en Ukraine rebattent entièrement les cartes de l’ordre mondial et européen. Ces événements font apparaître plus que jamais la nécessité de repenser le cadre économique de l’Union européenne et ses règles budgétaires. La crise de la COVID-19 a frappé de plein fouet les budgets des villes et des régions, et a accentué le clivage entre les régions européennes. En raison des problèmes économiques et de la réponse stratégique forte, mais nécessaire, qu’il convient d’apporter, les déficits et les ratios d’endettement ont augmenté au sein de l’Union. Quant au marché du travail, la crise a eu de graves répercussions sur de nombreux secteurs économiques. 

À l’aube de la pandémie déjà, les règles de gouvernance économique de l’Union ne fonctionnaient pas correctement. Confrontée à celle-ci, l’Union européenne a dû réexaminer son fonctionnement en matière de règles budgétaires. Désormais face à la guerre du Kremlin en Ukraine, la révision de la gouvernance économique de l’Union devient une obligation d’autant plus urgente.

Depuis la crise financière mondiale, la gouvernance économique européenne s’est avérée inadaptée: elle a creusé des inégalités au sein de l’Union, et il a même été démontré qu’elle jouait un rôle moteur en érodant de l’intérieur le modèle social européen. Le pacte de stabilité et de croissance, à savoir l’ensemble de règles élaborées pour garantir la situation saine des finances publiques et la coordination des politiques budgétaires des États membres, a été largement critiqué, car il enserrait les budgets nationaux dans un corset budgétaire provoquant une accumulation de graves urgences sociales au sein de l’UE.

L’actuelle gouvernance économique européenne est partiellement responsable de la réduction drastique des dépenses publiques, un phénomène qui a commencé au lendemain de la crise financière de 2008. Entre 2009 et 2018, l’ensemble de l’investissement public a baissé de 20 % du PIB au sein de l’UE. Les investissements des collectivités locales et régionales ont baissé de près de 25 %, et de 40 % voire plus dans certains États membres plus touchés par la crise.

Restrictions budgétaires, contrôle des dépenses publiques et mise en œuvre globale de mesures d’austérité ont eu de lourdes conséquences sur tout un ensemble d’initiatives européennes et de services fondamentaux. Malheureusement, la situation n’a fait que prolonger et aggraver les conséquences économiques, sociales et politiques de la crise. Aujourd’hui, ces limitations ont toujours d’importantes répercussions sur les collectivités locales et régionales, qui représentent près d’un tiers des dépenses publiques, et plus de la moitié des investissements publics dans l’ensemble de l’Union.

La pandémie a alourdi cette charge pesant sur ces collectivités, comme l’a expliqué Elio Di Rupo, membre du groupe PSE, ministre-président de la région wallonne et ancien premier ministre belge:

«La crise de la COVID-19 a créé un tsunami économique, social et budgétaire sans précédent. Les citoyens de l’UE souffrent terriblement des conséquences de la pandémie. Par conséquent, notre volonté est que la gouvernance économique européenne soit fondamentalement revue et adaptée aux réalités de nos territoires et de nos régions. Il ne peut être question de revenir au statu quo ante une fois que la pandémie sera maîtrisée et de faire comme si rien ne s’était passé

Alors que le monde post-pandémie est à l’horizon, nous savons que nous ne pouvons pas revenir à l’approche qui prévalait avant, mais que nous devons saisir l’occasion pour achever, accélérer, approfondir et élargir l’architecture de l’Union européenne et mettre à jour ses règles économiques et budgétaires désuètes. Une telle ambition nous aiderait à diminuer les inégalités croissantes, à soutenir nos collectivités locales et régionales dans leurs actions et à atteindre les objectifs repris dans le pacte vert pour l’Europe et le socle européen des droits sociaux.

Un cadre de gouvernance économique de l’Union plus inclusif

Cette année, la Commission européenne prévoit de présenter une proposition législative révisée qui mettra à jour le cadre de gouvernance économique de l’Union. Celle-ci avait été introduite en 2020 et suspendue durant la pandémie.

La coordination économique est essentielle pour assurer le bon fonctionnement de l’Union européenne, compte tenu notamment de notre régime d’union monétaire et de la structure économique homogène que nous construisons progressivement en Europe. Un cadre de gouvernance économique complet devrait prendre en compte toute évolution pertinente qui pourrait avoir des effets sur l’économie à tous les niveaux de la société. Cela signifie qu’il faut se pencher tant sur les retombées négatives de la politique fiscale, que sur celles d’autres éléments macroéconomiques qui compromettent l’équilibre économique européen.

Comme le reconnaît le commissaire chargé de l’économie Paolo Gentiloni, «au fil des années, nos règles budgétaires sont devenues trop complexes et difficiles à comprendre en raison de la prolifération de sous-règles et de la dépendance à des paramètres qui sont constamment soumis à des révisions. Par conséquent, la simplification du cadre est également un objectif important de la révision

Consciente de cette lacune, la Commission a invité d’autres institutions européennes, y compris le Comité européen des régions, la Banque centrale européenne, les banques centrales nationales, les gouvernement et parlement nationaux, et un large éventail de parties prenantes à participer à un débat public afin de soumettre leurs recommandations relatives aux prochaines étapes à franchir pour améliorer l’actuel cadre devenu obsolète.

Mettre fin à l’austérité: nos exigences

Ces dernières années, la gouvernance économique de l’Union ne s’est pas assez appuyée sur une approche globale qui prenne en compte les différentes réalités locales et régionales, affirme notre rapporteur Elio Di Rupo: «Les défis sociaux, écologiques et économiques nécessitent des investissements massifs. Le secteur privé ne pourra pas supporter seul tous ces efforts. Sans évolution, les contraintes budgétaires européennes empêcheront la mobilisation de l’investissement public pour surmonter ces défis

Ces inégalités ont été aggravées par les événements actuels, qui ont frappé plus fort que d’autres certains territoires de l’Union.

Par conséquent, le Comité européen des régions se réjouit que la Commission ait exprimé sa volonté de réviser le cadre de gouvernance économique européenne. Dans l’avis élaboré par Elio Di Rupo, membre du groupe PSE, certains points essentiels à la réussite de la réforme sont soulignés:

  • continuer de garantir la sécurité sociale et le suivi du programme de risques de chômage en situation d’urgence (instrument SURE) en le traduisant en un régime européen de réassurance chômage permanent;
  • garder la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, cette clause, activée pour la première fois lors de la pandémie de COVID-19, a permis aux villes et aux régions situées en première ligne d’utiliser leurs budgets publics. Elle est nécessaire jusqu’à ce que le cadre de gouvernance économique soit foncièrement révisé;
  • exempter les autorités locales des règles du pacte de stabilité et de croissance, puisque celles-ci ne participent en rien au niveau élevé de la dette publique et qu’elles s’endettent uniquement pour investir. Par conséquent, cette exemption leur permettrait d’être plus efficaces pour affronter les nombreux défis qui se présentent sur le terrain;
  • garantir la transparence en incluant les collectivités locales et régionales dans le cadre de gouvernance économique de l’Union;
  • se doter d’une «règle d’or du cofinancement» qui ne prenne pas en compte les dépenses publiques supportées par les États membres et les collectivités locales et régionales dans le cadre du cofinancement de Fonds structurels et d’investissement au titre de dépenses structurelles, publiques ou assimilées définies dans le pacte de stabilité et de croissance;
  • créer une «règle d’or verte et de cohésion sociale» excluant des comptes les investissements publics utilisés pour des projets permettant la transition vers une société durable sur les plans environnementaux, économiques et sociaux, tels que définis par les objectifs de développement durable et le pacte vert pour l’Europe;
  • transformer le Semestre européen et mettre en cohérence de façon explicite et efficace ses objectifs économiques et financiers avec la réalisation des objectifs de développement durable, tout en incluant les collectivités locales et régionales dans le processus;
  • renoncer à l’unanimité en matière de fiscalité, car l’Union doit s’améliorer dans ce domaine;
  • s’assurer que la voix des citoyens est entendue, puisque la conférence sur l’avenir de l’Europe a démontré que les Européens et les Européennes veulent un avenir différent.

Une des priorités absolues de notre groupe est de modifier notre modèle économique et de développement, et de réinventer la stratégie économique de l’Union européenne en la fondant sur la cohésion et l’investissement durable à long terme.

La gouvernance économique de l’Union doit être adaptée aux réalités de nos régions et de nos villes. Par conséquent, un cadre de gouvernance économique juste doit prendre en compte une multiplicité de facteurs. Nous devons notamment mettre en lumière l’importante charge que les collectivités régionales et locales doivent supporter, sachant qu’elles ont, durant la pandémie de la COVID-19, alloué une grande partie de leurs budgets aux problèmes les plus urgents que leurs populations devaient affronter, ce qui a mené à l’augmentation de leur niveau de dettes publiques. Les collectivités locales et régionales ont besoin de flexibilité budgétaire pour alimenter la reprise et la résilience.

Il faudra donc associer les régions et les villes au processus de refonte vers une gouvernance économique inclusive qui a tiré les leçons de la pandémie de la COVID-19 et des situations d’urgence liées à la situation en Ukraine, et qui répond aux spécificités de l’Union. L’Europe a besoin d’une nouvelle boussole politique. Le bien-être et le progrès de notre société ne vont pas automatiquement de pair avec la croissance de l’économie. Nous devons mettre un terme aux mesures d’austérité désuètes et mettre en avant une nouvelle approche qui place au premier plan les citoyennes et les citoyens et la planète. La pandémie et la guerre en Ukraine nous prouvent qu’il n’y a plus une minute à perdre.

Top