Cette interview s’inscrit dans le cadre de notre campagne #LoveWhereILive et de notre série #ProgressiveLocalStories, visant à sensibiliser aux nombreuses initiatives positives mises en œuvre par des villes et régions progressistes en Europe. Les villes et les régions sont devenues des laboratoires de solutions innovantes et, avec cette série, nous voulons découvrir comment les maires, conseillers et présidents de régions progressistes mettent en place des politiques de promotion et de protection des droits LGBTIQ.
Monsieur Romero-Michel, vous êtes adjoint à la Maire de Paris en charge des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations. Paris est un exemple en matière de promotion et de protection des droits LGBTIQ. En tant que leader progressiste, quelles sont vos idées sur les droits LGBTIQ sur votre territoire et en Europe aujourd’hui ?
De mon vécu, j’ai pu constater l’évolution des droits LGBTIQ en France et à Paris, mais le combat pour l’égalité des droits est loin d’être fini.
Récemment, la loi de bioéthique a enfin été adoptée au Parlement français. Elle a permis d’obtenir l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) pour tous les couples, notamment de femmes, ainsi que pour les femmes seules. La victoire n’est cependant pas totale. Beaucoup reste encore à faire. En effet, plusieurs mesures phares ont été supprimées du projet de loi, notamment l’ouverture de la PMA aux personnes trans ou l’interdiction explicite par la loi des mutilations génitales des enfants intersexes.
Un autre sujet d’actualité, à mes yeux, concerne les thérapies de conversion. En dépit d’une place considérable dans le débat public, le gouvernement n’a toujours pas défini de qualification pénale pour interdire ces tortures.
C’est pourquoi nous devons poursuivre nos efforts pour atteindre l’égalité sans jamais perdre de vue que rien n’est jamais totalement acquis. Les reculs dans l’Union comme dans le reste du monde en sont la preuve.
Des gouvernements annoncent ouvertement être contre une supposée « idéologie LGBT » et font reculer les droits. Je pense par exemple à la Pologne où je me suis rendu pour rencontrer les activistes ou encore à la Hongrie.
Quelle Europe voulons-nous, finalement ? Je suis pour une Europe forte sur ses valeurs et je me réjouis des récentes actions de la Commission européenne ou de la part d’une majorité des États membres.
Quelles actions concrètes avez-vous mises en place (ou envisagez-vous actuellement) pour faire de votre ville une ville dans laquelle les droits des personnes LGBTIQ sont pleinement respectés et promus ?
Tout d’abord, nos villes ont un rôle symbolique très important. Paris, capitale inclusive de toutes les fiertés, ce n’est pas qu’un slogan, c’est d’abord un climat que nous portons. Nous pavoisons fièrement aux couleurs de l’arc-en-ciel le 17 mai ou durant le Mois des Fiertés qui se termine par une magnifique Marche des Fiertés que nous soutenons.
Notre ville et notre Maire, Anne Hidalgo, se positionnent clairement, publiquement, dès que cela est nécessaire. Paris s’est déclarée « zone de liberté LGBTQI+ » ce mois de juin et nous avons apporté notre soutien aux personnes LGBTQI+ de Pologne en votant un vœu au Conseil de Paris et en attribuant notre Prix international LGBTQI+ à une association polonaise se battant au quotidien pour l’égalité.
L’espace public est également mobilisé. De nombreux passages piétons arc-en-ciel ont été installés dans plusieurs endroits de la Ville dans le Marais bien sûr, quartier central et réputé LGBTQI+-friendly, mais aussi dans les quartiers populaires de la capitale. Partout où cela est possible, nous donnons des noms de rues, de places ou d’équipements publics en l’honneur de personnalités ou d’événements LGBTQI+ comme la Place des émeutes de Stonewall ou encore l’allée Chantal Akerman.
Nous finançons et soutenons aussi des dispositifs concrets qui répondent à de vrais besoins comme des colocations à destination de réfugiés LGBTQI+ ou pour les séniors LGBTQI+. Nous inaugurerons bientôt une Maison LGBTQI+ à destination des exclus des exclus (comme par exemple les personnes réfugiées, trans, queer ou séropositives) afin de créer un lieu-ressource et de rencontres.
Enfin, depuis mon arrivée, nous avons lancé un grand big bang administratif pour que notre collectivité soit exemplaire en tant qu’employeur (53 000 agentes et agents, 260 métiers) et en que fournisseuse de services publics. Nous formons et sensibilisons notre administration et nous avons mis en place 6 groupes de travail qui réunissent institutions, directions de la Ville, associations et personnes concernées. C’est un petit défi mais nous quittons l’incantation et nous rentrons dans le dur, dans le concret. On ne peut pas se défiler quand on constate des besoins qu’il nous faut remplir. Je pense aux formulaires, aux problématiques que rencontrent les personnes trans, les familles LGBTQI+ ou les personnes mineures.
La Commission européenne a proposé sa toute première stratégie LGBTIQ et le Parlement européen a récemment déclaré que l'UE était une zone de liberté LGBTIQ. Comment l'Union européenne peut-elle contribuer à faire progresser l'égalité des personnes LGBTIQ, y compris en dehors de l'UE, et pourquoi c'est important pour votre ville ?
Je crois en l’Europe des valeurs consacrée dans les Traités et la Charte des droits fondamentaux. Les critères de Copenhague donnent aussi clairement le la avant l’adhésion de nouveaux États membres. C’est une fois qu’ils sont dans l’Union que l’on se rend compte des difficultés à manœuvrer avec des gouvernements qui font le choix de stigmatiser telle ou tel pour mieux asseoir leur pouvoir.
En tant que Parisien, Franco-espagnol et Européen, j’accorde beaucoup d’importance à ce que la construction européenne ne ressemble pas seulement à un grand marché à la carte où on peut tout tolérer.
En tant qu’élu et que militant, je sais combien les combats pour l’égalité et la conviction de l’opinion peut être lente, connaître des avancées comme des reculs, mais je constate et me félicite du courage dont font preuve les institutions européennes, le Parlement bien sûr mais aussi la Commission.
À Paris, avec Anne Hidalgo, nous pensons clairement que les villes ont un rôle à jouer face aux grands défis de notre temps. Nous croyons à la plus-value de la diplomatie des villes et nous participons aux réseaux européens et internationaux des villes. J’ai rencontré récemment Nina Gabryś qui s’occupe de promouvoir l’égalité à Cracovie en Pologne et j’échange régulièrement avec mes homologues européens dont j’apprends beaucoup. Je ne pense pas qu’il faut exclure un État membre qui bafoue les Droits fondamentaux. Je sais ce que signifie le drapeau européen en Pologne ou en Hongrie et je ne veux pas que les activistes ou que les personnes concernées se retrouvent sans notre soutien et sans le recours au droit européen. C’est un combat à grande échelle mais je crois que l’amour et l’égalité finiront par l’emporter.
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Crédits photos: Jean-Luc Romero-Michel / Twitter.